PLAIDOIRIE DE MAITRE MAMOUDOU SANE
En Octobre 2005, j’ai terminé mes études à l’Université Gamal Abdel Nasser de Conakry, études sanctionnées par une Maîtrise en droit privé. Après quelques temps passés dans l’enseignement, j’ai crée un journal à parution mensuelle dénommé LA PIE, cet oiseau bavard. Et parallèlement, j’animais l’émission juridique Thémis à la radio Liberté FM. Mais tout cela était fait pour occuper mon temps, mes aspirations étant ailleurs. Le temps passant, les saisons se succédant, vint le jour où j’ai rencontré le Commandant Moussa YARADOUNO de la sécurité routière, le père de Mirabeau un ancien condisciple, qui me demanda ce que je voudrais faire dans la vie. Sans hésitation, je lui ai répondu que devenir Avocat est mon grand rêve.
Alors, poursuit-il, je vais rencontrer Maître Elhadj Ibrahima DABO, un Avocat auprès duquel je te recommanderai vivement. Promesse faite, promesse tenue, et j’ai intégré ce Cabinet en qualité de postulant à la profession d’Avocat.
Après une année passée là, deux ans passés dans celui de Maître Thierno Amadou BARRY, j’ai été admis au stage à la suite de l’examen pour l’obtention du Certificat d’Aptitude à la Profession d’Avocat –le CAPA- et j’ai prêté serment le 28 décembre 2009 avec 10 autres jeunes confrères. Bientôt, je dois terminer mon stage probatoire par le Cabinet de Maître Salifou BOIRO où je suis à ma 3ème année.
Cette parenthèse me paraissait nécessaire car, il est toujours bon de connaître le parcours de celui qui doit s’atteler maintenant à la délicate question du jour. Aujourd’hui est un grand jour, et comme chaque jour est un cadeau, à l’occasion de cette rentrée solennelle du Barreau de Guinée, deux thèmes ont été choisis par le bâtonnat pour ce concours de plaidoirie. La Raison doit elle servir de guide ? C’est le premier thème, auquel je ne toucherai pas. Moi, j’ai plutôt décidé, en tant que candidat à cette épreuve, de m’essayer sur le second sujet qui est celui-ci :
Doit-on écouter la voix de son Maître ?
Un gros point d’interrogation derrière.
Après 6 années de stage, donc d’apprentissage, je suis bien placé pour répondre à la question de savoir si oui ou non l’on doit écouter la voix de son Maître.
Mesdames et Messieurs les membres du jury,
Mes chers Maitres présents dans la salle,
Chers invités,
C’est à vous que je m’adresse, chacun prit en sa qualité et en son rang.
Doit-on avoir un Maître ? Dans quelles conditions l’homme a-t-il besoin d’un Maître ? Avant de répondre à cette double interrogations, il est essentiel de contextualiser la notion de voix et celle de Maître.
Si la voix, est le chemin qui mène vers le savoir faire et le savoir être d’un homme, et le Maître, étant le détenteur de ces savoirs, c'est-à-dire le formateur, le guide, alors acceptons que tout Homme ait un Maître qu’il se doit d’écouter.
Dans un processus d’apprentissage où l’on vous transmet les règles et les procédures par lesquelles vous devez accéder au savoir et à l’expertise, la voix du Maître est celle de la sagesse.
Il n’y a pas dans cette salle, une seule personne qui n’ait été apprenti un jour et Maître par la suite. Évidemment, dans toutes les disciplines de la vie on apprend auprès de quelqu’un, avant d’exceller après et devenir Maître : Maître menuisier, Maître tailleur, Maître d’école, Maître artiste comme Pablo Picasso, Maître maçon comme mon père ! Que la terre soit légère. Amen ! Bref autant de disciplines que de Maîtres. Du coup, quelque soit le domaine, un Maître se retrouve nécessairement avec trois catégories d’apprentis: celui qui ne va jamais l’atteindre, celui qui va l’égaler et enfin, l’apprenti qui va dépasser les exploits de son Maître. Ce dernier cas reste bien entendu le souhait de tout formateur, donc de tout Maître.
Dans l’apprentissage l’on doit écouter car, quand on écoute, on comprend, quand on comprend on apprend, quand on apprend on maîtrise, quand on maitrise, on est censé bien appliquer l’enseignement reçu.
C’est donc dire, qu’écouter le Maître dans le but d’apprendre son savoir faire est un devoir pour l’apprenti. C’est ainsi qu’avec mes différents Maîtres j’ai compris le sens de mon serment que voici : « Je jure en tant qu’Avocat d’exercer mes fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité ». Avec eux, j’ai appris l’obligation de respect des principes de délicatesse, de désintéressement, de courtoisie, de confraternité, de loyauté, d’honneur et de modération. A l’égard des justiciables, je sais aujourd’hui que je dois faire preuve de diligence, de dévouement, de prudence et de compétence. Il a fallu que j’écoutasse mes formateurs pour comprendre le sens de ces seize (16) principes universels qui gouvernent la profession d’avocat. Il m’appartient désormais de choisir et de me frayer le chemin que je trouve conforme à mes convictions intimes.
Alors, aurais-je pu comprendre et apprendre avec cet homme si je ne l’avais pas écouté ? La réponse est absolument non ! L’écoute est une qualité extraordinaire que le bon sens commande. Ne dit-on pas que l’Homme le plus intelligent est celui qui écoute ? C’est en tout cas ce que semble enseigner l’écrivain Allemand Johann Goethe, citation « Si parler est une nécessité, écouter est un art que tout être qui se veut sage, doit apprendre », fin de citation.
Mesdames et Messieurs les membres du jury,
Mes chers Maitres présents dans la salle,
Chers invités,
L’autre aspect de la question, tenez vous bien, et c’est notre position dans cette épreuve que nous affrontons en ce moment. Le Maître est un être humain comme vous et moi. Or, nous portons chacun une dose d’imperfection, c'est-à-dire donc que, le Maître peut se tromper, il peut commettre des erreurs d’inattention, de précipitation, d’imprudence... C’est en cela qu’il faut considérer que le Maître soit un guide mais pas un absolu. Pierre Corneille le dramaturge français disait, citation « Pour grands que soient les rois, ils sont ce que nous sommes, et peuvent se tromper comme les autres hommes », fin de citation.
Quand le Maître s’écarte de la logique, il peut ramener à son apprenti qui s’en aperçoit de le lui faire savoir car comme le dit René Descartes, « le bon sens et la raison sont les choses les mieux partagées ».
On ne doit donc pas, aveuglement, suivre le Maître dans l’erreur. Avec son Maître, on a une marge de manœuvre de liberté. L’exemple qui s’impose à moi est celui qui se passe dans les Cabinets d’Avocats. Dans nos études, lorsqu’un dossier est en vu, chaque Avocat donne son avis juridique, tant sur la stratégie de défense que sur les textes de lois à viser, tant sur l’appréciation des faits que sur leur conséquence juridique. Il arrive souvent que lorsque je ne partage pas l’avis juridique de mon Maître, que je lui demande de me dispenser de plaider un tel dossier devant un Tribunal, parce que quand l’Avocat parle, il est Maître de son argumentation juridique. C’est le sens même de son serment consacré par le principe de l’indépendance morale et intellectuelle. Nous autres Avocats, sommes jaloux de notre indépendance comme à l’image de l’Etat pour sa souveraineté.
Mesdames et Messieurs les membres du jury,
Mes chers Maitres présents dans la salle,
Chers invités,
Qu’en est-il aussi d’un Maître qui est dépassé ?
Nous savons que chaque époque à ses réalités, et qu’avec le temps, les règles, les principes, la technique et la technologie évoluent, car en philosophie, le mouvement est la base matérielle de la vie. Si le Maître reste alors figé sur les réalités de son temps, il se sclérose et devient dépassé.
Le Maître est un guide qui doit constamment, si la nécessité se fait sentir, pouvoir adapter ses enseignements à l’évolution du progrès scientifique, technique et social… Discuter avec son Maître est vital, le contredire constitue un apport. Car, comme le disent les dialecticiens, « c’est dans la contradiction que jailli la vérité ».
Ecouter la voix du Maître, suivre ses pensées, agir sans réfléchir est un suicide pour l’apprenti et pour le savoir. Ne pas chercher à aller au delà de ce que le Maître nous enseigne est un suicide pour l’apprenti et pour le savoir.
Dans le ‘’Mythe de la Caverne’’, Platon compare les hommes a des captifs enchainés dans une Caverne obscure où on enseigne l’image virtuelle des choses. Image qui était très différente de la réalité. Un jour, libéré, un des esclaves réussit à sortir de la Caverne et a put aller voir la source de la lumière qu’il recevait dans cette Caverne. Alors, ayant touché du doigt la réalité, il comprit la profondeur des choses. A son retour, il vint enseigner la science aux autres esclaves qui sont devenus indépendants. Ainsi, Platon réussit à dépasser les dogmatiques et instaura la dialectique dans le but d’aider les consciences à mieux réfléchir et à résoudre les problèmes de façon responsable et de manière indépendante.
Pour devenir Maître, l’apprenti doit s’intéresser à la voix de son Maître. C’est en s’intéressant à l’enseignement de Platon que Aristote est devenu Maître, pour que Adam Smith devienne Maître il s’est intéressé à David Ricardo, pour que David Ricardo devienne Maître il a côtoyé François Quesney. Pour que Max Webber puisse exister il s’est intéressé au savoir de Karl Marx. S’intéresser à la voix du Maître c’est apporter quelque chose d’original auquel le Maître n’aura pas pensé. Le bon élève est celui qui s’arc-boute sur l’enseignement reçu du Maître et qui s’en sert pour lui servir de base dans sa vision personnelle à travers ses efforts pour une plus grande maîtrise des réalités. C’est cette manière qu’a suivie l’évolution de la science depuis l’aube de l’humanité jusqu’à nos jours. L’Homme est un eternel apprenti, finalement il n’y aurait pas de Maître, ni d’élève car la seule chose qui vaille reste le temps pour s’y faire.
Mesdames et Messieurs les membres du jury,
Mes chers Maitres présents dans la salle,
Chers invités,
Je vous remercie pour la qualité de votre écoute. Ce que vous venez d’entendre, vous parait inachevé, c’est pourquoi j’invoque votre pardon sur les erreurs dues essentiellement à ma jeunesse et celle de mon art tout en vous assurant de me mettre dès aujourd’hui au travail pour améliorer ma méthode, combler mes insuffisances pour que demain soit mieux qu’aujourd’hui.
A tous les avocats du Barreau de Guinée, merci pour avoir accepté de me faire grandir à vos cotés en me protégeant.
Merci ! Maître Elhadj Ibrahima DABO, Merci ! Maître Thierno Amadou BARRY et Merci ! Maître Salifou BOIRO, pour m’avoir appris ce beau métier. Vous m’avez reçu petit, et petit à petit je suis entrain de devenir moins petit.
Me Mamoudou SANE
Avocat au Barreau de Guinée -Conakry
Du Cabinet SOS Avocats de Maître Salifou BOIRO
Avocat à la Cour Tel. (00224) 64.34.52.88
me.sane@yahoo.fr, Skype : mamoudou. sane1
http://64.34.52.88/
64.34.52.88
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